Des experts africains du cajou en formation au Ghana

Des experts africains du cajou en formation au Ghana

Rita Weidinger : “La formation et la technologie, les clefs pour développer la filière cajou”

[Mise à jour] Pour Rita Weidinger, directrice exécutive de ComCashew, il faut faire preuve de pragmatisme et démarrer par la  base : le marché. Le prix de la noix de cajou commence à atteindre son maximum au regard du consommateur, raison de plus pour que la Côte d’Ivoire mette les bouchées doubles pour accroître son taux de transformation. Mais pour s’industrialiser, il faut des technologies adaptées et de qualité ; il faut aussi former.

ComCashew est un des projets majeurs de développement de la filière cajou en Afrique, fruit d’un partenariat public-privé mené par la coopération allemande (GIZ), aux côtés de nombreux autres bailleurs, avec des résultats plus ou moins probants.

Eclairage de la spécialiste, Rita Weidinger, en exclusivité pour CommodAfrica au SIETTA 2017 à Abidjan.

 

Pourquoi l’Allemagne s’intéresse-t-elle à la noix de cajou?

L’Allemagne est dans le développement rural depuis plus de 30 ans, notamment sur la filière noix de cajou au Sénégal et en Tanzanie car c’était un nouveau produit. Je crois que c’est le côté innovant et le potentiel de revenu pour la population rurale qui  a amené l’Allemagne à s’y intéresser autant.

Quelle est votre logique de fonctionnement sur la région ?

Le projet “Initiative du Cajou Compétitif” est un projet de partenariat public-privé (PPP). Ce sont les privés qui tirent nos objectifs vers le haut, des objectifs qui sont ceux de développement : augmenter les revenus des producteurs et accroitre les revenus provenant de la transformation. C’est le privé qui tire tout car il faut commencer par le marché et ensuite impliquer tous les autres acteurs, les gouvernements, les financiers et en l’occurrence, la coopération allemande par le Ministère fédéral pour la Coopération économique et le développement (BMZ) , ainsi que la Bill & Melinda Gates Foundation qui ont été les premiers financiers. On a même des privés qui ont mis de l’argent pour développer l’Initiative et la filière.

D’autres bailleurs publics se sont impliqués dans le secteur et s’impliquent de plus en plus au fil du temps. Ce sont les Etats-Unis au travers de l’USAID et l’USDA, l’Union européenne qui est très fortement impliquée sur l’initiative régionale, la coopération française qui, dans le cadre de projet de politique forestière, a travaillé sur l’anacarde au Ghana et au Bénin. Il y a également des coopérations tripartites, impliquant notamment Israël. La Banque mondiale a des projets d’appui à la filière, surtout dans l´échange régional sur la recherche agricole et elle y travaille également à travers des programmes nationaux.

Je vais être un peu critique car ces projets sont parfois très lourds. Les projets portent sur l’intégralité de la filière et donc de nombreux acteurs nationaux se voient impliqués. Beaucoup d’argent tourne au début autour de la concertation et très peu de résultats concrets en sortent dans les premières années. Souvent, ce sont des études et trop peu d’exécution d’opérations de production, de transformation.

L’Asie est-elle très présente en terme de projets ?

Les Asiatiques comme l´Inde, la Chine, le Japon, le Vietnam et d´autres sont davantage présents dans le commerce de noix brutes et d’amandes. Certain pays sont aussi impliqués dans l’échange technologique, comme cette coopération entre la Côte d’Ivoire et l’Université de Hô Chi Minh au Vietnam. Car le Vietnam a besoin des noix brutes de Côte d’Ivoire. Ce partenariat les renforce et leur garantie un certain pourcentage de la production ivoirienne.

Que faut-il, à votre avis, pour développer la filière ?

Nous avons examiné la filière dans plusieurs pays africains producteurs et avons identifié les étapes où il faut intervenir. Au Mozambique, on a déjà eu un peu de transformation et là, on s’est beaucoup plus focalisé sur l’approvisionnement des transformateurs et le rajeunissement du verger car les arbres ont 30 ans et plus. En Afrique de l’Ouest, il s’agit de faire plus de recherche en matériel végétal et de multiplier les bonnes pratiques culturales.

Mais tout ceci avec pour objectif qu’il y a un marché très favorable, un marché mondial qui grandit chaque année de 10% et qui offre donc une très bonne opportunité pour l’Afrique qui a multiplié sa production ces 10 dernières années. Longuement méconnue, tout le monde aujourd’hui ne parle plus que de l’anacarde. C’est pour ça que l’on voit aujourd’hui toute cette danse politique autour de la filière. C’est vraiment le résultat du potentiel économique dans des régions plutôt marginalisées. Des régions où les politiques ont du mal à proposer quelque chose et où les jeunes, par manque d´emplois, migrent vers l’Europe. Des régions où, par exemple, on cultive le coton pour lequel le marché mondial n’est pas si favorable et l’impact des changements climatiques important. Dans ces régions, l’arbre, l’anacardier, est beaucoup plus adapté.

Comment se fait-il que les investisseurs indiens, vietnamiens, chinois, ne se précipitent pas pour monter des usines et exporter d’ici?

Car il y a des facteurs favorables et d’autres qui sont défavorables. Parmi les facteurs favorables se trouve le prix des noix brutes. C’est ce qui plaide en faveur de la transformation ici. Ce qui est défavorable, c’est le prix de tous les facteurs de production, l’électricité, le transport, mais aussi le manque de connaissance et de savoirs notamment dans la gestion des usines d’anacarde. Cela n’existe pas encore ici. C’est en train de se développer.

Les investisseurs indiens, vietnamiens et autres doivent avoir un partenaire local de confiance ici pour s’installer. Il y a, bien sur, des structures nationales qui donnent des informations. Mais pour développer un grand business et une usine, il faut des partenariats à long terme. Ce sont de vrais jumelages business qui doivent se créer et qui prennent un peu plus de temps à mettre en place. Ils sont en train de se forger et des évènements comme le Sietta les y aident.

Pour la Côte d’Ivoire, précisément, il y a eu, bien entendu, l’instabilité politique qui a joué et a freiné les installations. Mais ils sont de retour et leur présence au Sietta démontre qu’ils ne sont plus effrayés. En outre, la Côte d’Ivoire a mis un paquet incitatif assez intéressant avec FCFA 400 pour chaque kilo d’amandes transformés. Ils ont déjà donné les premières chèques aux transformateurs et cela va en encourager d’autres. On a connaissance d’une liste de plus de 50 usines qui veulent s’installer. Mais on ne croit pas que cela sera rapide. Il faut des usines de taille moyenne, de 3 000 à 10 000 t pour commencer, et il faut former des ouvriers aux différentes tâches. Cela prend du temps.

De quelles innovations technologiques la filière ivoirienne a-t-elle besoin ?

A l’origine, la technologie dans l’anacarde s’est développée autour de très peu de pays ; il n’y avait pas besoin de mettre au point des techniques internationales. Mais aujourd’hui, on voit des gens qui exposent au Sietta et qui ont un autre niveau technologique, plus précise, plus efficace, avec de bons rendements et surtout avec un pourcentage élevé de noix entières qui sortent. Car les brisures perdent beaucoup de valeur.

Par ailleurs, si le dépelliculage n’est pas bien fait, on doit le refaire à la main, ce qui est coûteux en main d’œuvre et en logistique. Donc, pour nous – mis à part la connaissance sur la nouvelle filière – la technologie est un aspect clef pour développer la filière.

Quelles sont les perspectives de marché pour 2017?

La demande s’accroît toujours, de l’ordre de 6 à 10% attendu en 2017, selon les opérateurs privés. Mais si les prix de production brute augmentent encore, cela impactera la consommation car le consommateur n’est pas prêt à payer encore plus. Il semble qu’on ait atteint un plafond.

Enfin, ComCashew va ouvrir un bureau en Côte d’Ivoire?

Oui, on va ouvrir un bureau l’année prochaine. En réalité, nous sommes quasiment tout le temps en Côte d’Ivoire mais nos bureaux, jusqu’à maintenant, n’étaient qu’au Ghana et au Burkina Faso.

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